Le temps s'écoule, et voilà tout.

La barque glisse lentement, sans faire de bruit. Le pécheur encore endormi mouille à peine le bout des rames. On voit quelques poissons plonger sans conséquence. Les racines entrelacées sur la rive et dans l’eau font penser à des gravures au dessin compliqué. Les petites feuilles suspendues et trempées de rosée picotent un peu les joues. Il faut parfois ouvrir les rideaux de verdure. La brume s’est installée, pour quelque temps encore, sur le lit argenté.

Les champs sont tout trempés et les brins d’herbe grelottent.

Au loin l’église, le hameau tout autour et les maisons perchées entre les cimes.

Le pécheur s’étire, là ce sera très bien, la barque frotte doucement les racines.

Le silence est rompu un instant quand la chaîne déroule ses spires.

La barque est prisonnière pour quelques heures seulement.

Il fait déjà un peu plus chaud, les premiers rayons déposent sur le gris quelques couleurs.

La brume a rejoint le ciel, chacun son heure.

Là-bas les volets s’ouvrent, on a sorti les grands bols fleuris et les tartines.

C’est jour de marché, les habitants du haut vont bientôt descendre.

La chaîne est retirée.

Les oiseaux chantent à tue-tête, une cacophonie joyeuse, et pourtant aucune fausse note.

On a mené les vaches aux champs. On a chaussé les bottes alignées à l’entrée.

Chacun sa fourche, son panier, sa serpe ou sa faux.

On s’active au poulailler pour ramasser les œufs.

On se dit bonjour ou on hoche la tête sans cérémonie. Un jour comme un autre.

Sous les toiles élimées aux couleurs fatiguées, on garnit les étals.

On soigne les rangées de mottes de beurre, de fromages dorés, de trésors de la terre de toutes les couleurs.

Les cloches de l’église résonnent dans la vallée.

On sort la monnaie, on remplit les paniers, on échange quelques mots.

Mais enfin Monsieur, il ne s’est rien passé !

Pas de drame ou de vilains secrets ?

Bien peu de métaphores.

Des vaches et des fromages, mais de qui se moque t’on ?

Pas de romance non plus, pas d’action.

Où sont les héros ? Pas d’intrigue, aucun message.

Tout cela est bien pauvre, permettez-moi d’en rire.

Eh bien Monsieur votre éducation vous honore.

Vous êtes à la campagne.

Ici, pas de bibliothèques ou de grands discours. Le temps s’écoule et voilà tout.

Dans le hameau on se comprend. Chacun fait ce qu’il doit.

Le soir quand il fait froid, on allume un grand feu dans la cheminée.

Les gens du haut ou des forêts viennent parfois.

On range les lanternes à l’entrée, on sort les tabourets.

Quand les pichets se vident, les langues se délient.

Alors on écoute les histoires.

Celles qui ne sont pas dans vos bibliothèques je parie.

Monsieur la vie s’écoule et l’on fait quelques fêtes, à la moisson ou à Noël.

On va à la pèche, on s’ennuie parfois c’est vrai.

On ne se parle pas beaucoup, mais si malheur arrive, tous seront présents.

Monsieur je vois déjà que vous me comprenez.

Les journées de labeur n’intéressent personne.

Surtout pas des personnes telles que vous.

Et qu’avons nous à faire des vos intrigues, vos métaphores et vos héros ?

Ici c’est la campagne et tout le monde est heureux.

Allez donc en parler à tous les tristes sires qui peuplent vos contrées.

 

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