Août 21, été pluvieux.
C’est pluvieux et je me réfugie sous 2 parasols. Un petite forteresse de toile pour un assaut humide et sans conséquence. Mais enfin, depuis un mois et demi c’est le déluge.
Pas moyen de lire tranquille. Le jardin ne risque pas d’être sec cette année, il est flamboyant mais on ne peut pas en profiter.
Les mimosas sont charnus, pas une pointe de rouille, La beauté des roses frisent l’insolence, comme les lèvres d’une adolescente ou les fraises, les cerises, les framboises, les mûres, le cassis, et tant d’autres perles sauvages, qu’on a pu connaître autrefois et dont on essaie de se souvenir.
C’est le grand paradoxe, là où il pleut, l’herbe est plus verte, où la chaleur est pesante, tout est sec et délavé. On est jamais vraiment au paradis, il faut s’y faire.
Tant qu’il pleuvote je fais avec. Si les pages ne sont pas trempées je continue. A chacun ses aventures. D’autres s’adonnent à la nage en eau vive, s’ils me voyaient, ils pourraient rigoler, et je pourrais difficilement leur en vouloir. A chacun ses talents et ses passions. On compose souvent, où on se doit d’y venir, avec ce que la nature nous a donné. Quand on a enfin compris quelles étaient ses limites et ses talents à exploiter, on atteint des sommets. Bon c’est pas l’Himalaya, mais on vit très bien dans la vallée ou dans les plaines. L’important n’est-il pas de vivre bien ?
J’approche un peu la chaise et les 2 toits de voilure. Les gouttes deviennent un peu envahissantes. Si l’une d’entre elles tombe sur la page, ce sera le signal. J’ai de gros problèmes quand même ! Il me faudra traverser la zone de combat au pas de course. Avec tous mes machins, il faudra faire au moins 2 tours. En attendant je croise les doigts et je regarde un peu les fleurs du jardin.
Ces fleurs me racontent un tas d’histoires. Aujourd’hui elles me narguent, demain elle se ne seront plus. Ce qui ne me donne aucun droit de me sentir supérieur. On a fixé le temps pour créer au moins quelques repères, ou faciliter la navigation. Mais personne n’est dupe, la beauté transcende nos petites innovations technologiques, qui ne sont que des pets dans l’univers. La beauté, c’est l’éternité, c’est ce qui nous fascine et nous fait mal. Tout meurt et tout renaît, mais on a pas cette chance, à moins de se bercer d’illusions.
L’ennemi a lancé l’assaut, il pleut des bombes d’eau et l’État major n’est pas à la hauteur. Je bats en retraite un peu n’importe comment, n’est pas stratège qui veut.
Non seulement je n’ai pas gagné la guerre, mais je n’ai brillé dans aucune bataille, je n’ai conquis aucun territoire. Comme un paysan déguenillé qu’on envoie au front avec sa fourche. Une image d’Épinal je sais, mais qui en vaut bien une autre.
Me voilà au QG, dans la véranda, j’assiste aux canonnades comme un gradé.
J’attends les renforts de rayons, mais la débâcle dure depuis un bon moment déjà. C’est la campagne de Russie mais sans les glaçons, faut pas exagérer non plus.
Comme abri on a connu pire, j’préfère pas y penser, des femmes, des enfants, des vieux, entassés comme des rats dans leur trou. C’est pour dire que la vie n’a rien de compliquée, on se charge de la rendre ainsi.
Mais enfin tout n’est pas comparable, quel rapport entre les lourdeurs et autres tracasseries administratives et les camps d’extermination ?
Je ne sais plus trop où j’en suis avec mon bouquin.
Dans le feu de l’action, le marque page s’est retrouvé parterre.
De quoi ça parle en fait, et est-ce si important ?
Je ferme un peu les yeux pour digérer tout ça.
Je regarde les fleurs héroïques, le vent les secoue un peu, et le déluge plie les tiges, mais c’est pas l’hécatombe.
Du coup j’ai un peu honte, vautré dans mon fauteuil. Les forts ne sont pas ceux que l’on croit. Non pas que je sois fort, ça vous l’avez compris, mais la fragilité reste relative.
Ces petites combattantes continuent à exhiber leurs atouts. C’est beau.
Les couleurs se mélangent un peu sur la vitre, c’est encore plus saisissant.
Moi j’ai renoncé depuis longtemps au combat. Demain j’irai sur le champ de bataille, mais je n’ai pas de crainte, aucune ne manquera à l’appel.
Demain sera un autre jour, comme on dit toujours quand on ne sait plus trop quoi dire.
J’irai revoir les fées du jardin, qui se moquent bien de moi et de mes petits problèmes existentiels, une raison de plus pour les vénérer.
Certains se plaisent à dire que demain, peut-être, elles ne seront plus là. Ceux-là se gardent bien de dire s’ils seront encore là pour les voir. Je ne suis pas de « ceux-là », et c’est bien ce qui me torture.
Cultiver son jardin dit-on, je comprends un peu mieux, s’il m’est vraiment donné de comprendre.
Face au chaos, il faut bien trouver une méthode. Ça sert pas à grand-chose, mais au moins ça rassure. On ne peut pas vivre constamment dans la peur. On est pas fait pour le néant. Les nihilistes vous diront le contraire, mais c’est comme Don Camillo et le maire communiste qui assiste à la messe.
On cherche partout des bouées ici-bas, avec méthode ou n’importe comment, au sommet ou tout en bas.
Les fleurs nous rappellent que le temps n’est rien.
Un petit jardin dans l’infiniment grand, mieux vaut ne pas trop y penser.
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